J’ai l’occasion de l’utiliser déjà bien avant Ayutthaya. A la sortie d’un virage, un gros chien noir, style le Loup-garou de Londres…non, j’exagère…style croisé labrador, me prend en chasse et j’ai à peine le temps de sortir mon objet magique, de le pointer dans sa direction et d’appuyer sur le bouton « power ». Le résultat est immédiat : l’animal baisse instantanément les oreilles et court se cacher chez lui.
Le même scénario se produit avec trois cabots, cette fois, à l’entrée d’Ayutthaya. Le guide avait raison ; cela ne fait pas 50 mètres que je roule dans la ville, que trois clebs me font comprendre que je suis sur leur territoire et qu’ils n’ont pas l’intention de le partager avec moi. Mon boîtier magique étant déjà attaché au poignet, je réagis dans la seconde. Là encore, l’appareil se révèle être d’une efficacité redoutable; les chiens repartent aussitôt, les oreilles baissées. Impressionnant, cet outil !
J’arrive dans le ghetto des backpackers un peu avant midi, pas trop fatigué, malgré un vent violent que j’ai ramassé en pleine poire tout du long. Je n’avais pas croisé autant de touristes depuis longtemps. Il faut dire qu’Ayutthaya est une destination phare en Thaïlande. Ancienne capitale du royaume du Siam, la cité, qui est encerclée par trois rivières, regorge de temples et de sites historiques à visiter.
J’ai fait près de 20 heures de vélo en trois jours et mes cuisses réclament un bon massage. Bonne idée, non ?
J’ai repéré un salon à 50 mètres de ma guesthouse.
Après avoir posé mes sacoches dans la chambre, pris une bonne douche (malgré le filet d’eau…) et englouti deux portions de spaghettis à l’huile d’olive, je me rends d’un pas décidé chez les masseuses. C’est un/une joli/e ladyboy qui me prend en charge. Sa taille de guêpe fait bigrement ressortir son opulente poitrine siliconée. Il se trouve que mademoiselle n’a encore jamais pratiqué de sa vie. Moi, étant son premier client, je vais donc servir de cobaye. Au bout du compte, je serai gagnant, car ce ne seront pas moins de six mains qui s’occuperont de moi en même temps. Deux autres filles lui apprennent les mouvements qu’elle reproduit à merveille.
Voici une heure qui a plus vite passé qu’une heure de vélo…
Mardi 18 – Mercredi 19 juillet 2006
Je passe deux jours à flâner dans cette ancienne capitale. Je prends plaisir à me perdre dans les ruelles du marché, où je profite de faire quelques courses à bas prix.
Dès le début de l’après-midi, le centre-ville grouille d’étudiants venus dépenser leurs économies en fringues, bijoux ou autres téléphones portables. La jeunesse thaïlandaise est un des acteurs principaux de cette société de consommation. Les ondes crépitent et les cartes de crédit fument…
Jeudi 20 juillet 2006
Je ne suis plus qu’à un jet de pierre de Bangkok.
J’arrive aux abords de Don Muang Airport après seulement 50km. Le trafic est tellement saturé, que j’en arrive à rouler plus vite que les voitures. Les 28km qu’il me reste à parcourir dans la capitale avant d’arriver à la maison, se font avec la plus grande facilité. Grâce à ma carte détaillée, je n’ai aucun mal à trouver mon chemin.
Me voici de retour à la maison, après une belle boucle de plus de 3'500km !
Et c’est avec un plaisir non dissimulé que je serre, à nouveau, Ploy dans mes bras.
Bangkok du 20 juillet au 13 août 2006
Trois semaines passées, en grande partie, devant le PC d’un Internet Shop. Une cinquantaine d’heures auront été nécessaires pour la mise à jour du site, ainsi qu’une quarantaine pour traiter les emails.
Dimanche 13 août 2006
Et c’est reparti ! Ploy et Tip (le pilote) m’accompagnent à moto tout au long de cette 1e étape vers le sud. Cette escorte m’assure une traversée de Bangkok en douceur et sans soucis.
Les kilomètres défilent et je vois la circulation s’accentuer méchamment.
J’arrive claqué Nakhon Pathom. La ville n’est qu’à 60km, mais n’ayant pas dormi une minute la nuit dernière, je n’ai vraiment pas la pêche. La préparation tardive de mes affaires, ajoutée à l’excitation du départ, ainsi qu’au rythme bangkokien (vie nocturne…) vécu ces trois dernières semaines, ont fait que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Après avoir déposé mon barda dans la piaule d’un petit hôtel du centre, nous allons croquer une morse dans un resto climatisé. La fatigue me coupe la faim et je n’ai qu’une seule envie : me mettre au lit et dormir.
Ploy et Tip me quittent vers midi. Je monte dans ma chambre me coucher, le cœur pincé…
Après une maigre sieste de deux heures, je fais un peu de mécanique. La chaîne Rohloff de ma bicyclette est fortement détendue et il est temps de la changer avant qu’elle ne commence à limer pignon et plateau. Je constate une élongation équivalente à la longueur d’un maillon (sur 101), soit près d’1%.
Je dois avouer que je suis un poil déçu de sa durée de vie. Je pensais qu’elle allait tenir plus de 4’300km.
Lundi 14 août 2006
Réveil sévère à 5h. Mon rythme de vie bangkokien fait de la résistance. Je n’ai dormi que deux heures, cette nuit… 105km pour gagner la ville de Phetchaburi ; la route va être longue aujourd’hui, je le sens.
La nationale 4 qui relie Bangkok au sud de la Thaïlande est un vrai cauchemar sur ce tronçon. La densité et le bruit du trafic sont pires que tout ce que j’ai connu auparavant dans ce pays. Ce vacarme permanent de moteurs à explosion est tel que je suis contraint de mettre mes tampons auriculaires, sans quoi je risque de devenir sourd avant la Malaisie…
Cette partie du pays est très étroite – étranglée par le Myanmar à l’ouest et le golfe de Thaïlande à l’est – ce qui fait qu’il n’y a, malheureusement, pas d’autre possibilité que d’emprunter cette maudite NH4.
Je m’arrête après une quarantaine de kilomètres pour contrôler la tension de ma nouvelle chaîne. Celle-ci est complètement détendue. Normal, car elle est neuve. Elle se rôde. Je n’ai pas le courage de sortir ma trousse à outils pour reculer la roue. On fera ça plus tard.
Alors que je m’apprête à me remettre en selle, un jeune homme à scooter s’immobilise à mes côtés et me demande où je vais. Ce genre de rencontres se passe souvent, mais le regard insistant de ce gaillard grassouillet - la trentaine révolue - ne me paraît pas très net. Je lui réponds brièvement et me remets en route, alors que le dodu, lui, traînasse au bord de la nationale.
Quelque cinq kilomètres plus loin, tandis que je suis en pleine ascension d’un pont dépourvu de bande cyclable, j’entends derrière moi « You, Stop ! ». Je me retourne et aperçoit le fameux replet me demandant de m’arrêter. Sa manière autoritaire et décidée de m’interpeller me fait penser que j’ai, peut-être, perdu quelque chose sur la route. Je m’arrête, donc, sur le pont, en plein trafic, pour en savoir plus. Il stoppe à ma hauteur et me dit « Aï laï, aï laï, aï laï, … ». Je le regarde, la mine interloquée, ne comprenant pas ce qu’il tente de me déclarer. Il répète encore 2-3 fois « Aï laï » et, subitement, me met la main au paquet !!! Instinctivement, je réagis aussi sec en lui balançant un Uraken Uchi (coup de poing latéral) dans le ventre. Il reprend son souffle et me répond, ensuite, « Oh, maï chop, sorry ! » ce qui signifie « Ah, tu n’aimes pas, excuse-moi ! » avant de mettre les gaz pour disparaître au loin…
En voilà des manières !
20km plus loin, je me décide, enfin, à retendre cette chaîne avant qu’elle ne vieillisse prématurément.
Je suis en train de bricoler au bord de la chaussée quand un quidam, la cinquantaine bien trempée, plante sa bécane à côté de moi. « Encore un gay luron ? » me demandai-je. Fausse alerte. Je n'ai droit, cette fois, qu'à une main aux fesses...J Non, je rigole. On échange deux/trois mots et il continue sa route.
Une dizaine de kilomètres avant Phetchaburi, je croise un couple de cyclo-voyageurs qui se dirige vers Bangkok. C'est la première fois que je vois des cyclos sur la route, depuis mon départ de Genève. I l n'est, malheureusement, pas possible de se rencontrer, car la large chaussée est barrée en son centre. On échange de grands signes de salutations en continuant notre route.
Enfin, me voici arrivé ! Cette étape m'est parue interminable. Je suis sur les rotules avec les fesses en compote.
Je passe la nuit dans la très sympathique Rabien Rim Nam guesthouse, située au bord de la rivière.
Mardi 15 août 2006
Trois heures de sommeil, cette nuit. On progresse gentiment...
Il est 4h du matin et j'ai les yeux grands ouverts. Pourquoi perdre mon temps au lit ?
Je prends, donc, la route de nuit en direction de Hua Hin, qui se trouve à 65km. Le trafic est faible et je ne souffre pas de la chaleur durant les deux premières heures. Je ne m'en plains pas.
A 9h et demie, je suis déjà dans ma chambre, sur la plage de Hua Hin. La guesthouse est sur pilotis. Quand j'ouvre mes rideaux, je ne vois que le bleu de cet immense golfe de Thaïlande. Enfin, je retrouve la mer !
Hua Hin est une station balnéaire traditionnellement fréquentée par les thaïlandais. Mais, depuis une quinzaine d'années, la clientèle internationale a largement pris le dessus. L'apparition de grandes chaînes d'hôtels, telles que Marriott, Hilton, Hyatt et Sofitel, a transformé ce village de pêcheurs en destination upmarket proposée par tous les grands Tour Operators.
Pour les amateurs de vie nocturne... les bars à filles ont poussé comme des champignons ces dernières années. En me baladant, le soir, dans les ruelles « chaudes » de la ville, je suis interpellé par des « Hey, sexy boy ! », « Hello, handsome man ! », « Hey, I have no boyfriend ! ». Bref, tous les compliments qu'une professionnelle attentionnée n'hésite pas à faire à un farang non accompagné...J Le tout dans la joie et la bonne humeur... J
Mercredi 16 août 2006
Jour de repos. Je profite des facilités informatiques pour aller commander des pièces de rechange pour ma bécane et consulter ma messagerie.
Bien que Hua Hin soit une des régions les plus sèches de la péninsule, elle n'est pas épargnée, ce matin, par un joli crachin qui s'est installé. La propriétaire de ma pension m'annonce que de fortes pluies ont inondé, hier, plusieurs villes au sud. Voilà ce qu'il m'attend, peut-être, demain...
Jeudi 17 août 2006
En quittant Hua Hin, ce matin, je suis surpris de voir que tous les moines venant demander l'aumône en ville sont escortés par des militaires, fusil au poing. Je ne suis, pourtant, pas encore dans la zone des violences quotidiennes de l'extrême sud du pays, où des groupuscules islamistes séparatistes ont déjà tué, entre autres, plusieurs moines bouddhistes.
Après 96km d'une belle route bien plate, j'arrive dans cette charmante petite capitale de province qu'est Prachuap Khiri Khan.
A l'entrée de la ville, je descends de mon cheval à roulettes pour repérer mon chemin, à l'aide du LP. Alors que j'ai les yeux plongés dans mon livre, un singe tente de me piquer le paquet de Chips qui est attaché à une sacoche avant. Un petit geste suffit pour qu'il s'éloigne. Mais, dès que j'ai le dos tourné, il revient tenter sa chance. Le petit malin !
Je trouve une chambre bon marché au Yuttichai Hotel, où l'accueil est des plus chaleureux. De plus, les chambres sont picco bello.
Après une douche bien méritée, je vais me remplir l'estomac dans un resto au bord de la plage.
Cette plage fait partie des sept points de la côte du golfe de Thaïlande, où les troupes japonaises ont accosté en décembre 1941, durant leur invasion de la Thaïlande.
Avant la sieste, je vais grimper le Khao Chang Krajok ; une petite montagne dans la ville. Un joli temple est établi au sommet de celle-ci. Cette colline se trouve être le fief de nos amis les macaques. Certains se cherchent les puces sur les marches d'escaliers, tandis que d'autres font la bête à deux dos sous mes yeux attentifs. Ils sont partout.
La ville a même installé des pneus, cordes, ainsi qu'une piscine pour cette grande équipe, en bas de la montagne.
Depuis le sommet, la vue sur le golfe est splendide.
De l'autre côté, à l'ouest, j'aperçois le Myanmar, qui n'est qu'à 12km de la ville. C'est la partie la plus étroite de la Thaïlande.
Vendredi 18 août 2006
Je continue ma route vers le sud. La nationale 4 passe au travers d'une zone plus sauvage et vallonnée. Cette région marque le début de la Thaïlande du sud, en termes ethnique et religieux. Je remarque que les peaux mates, ainsi que les paires de moustaches et les voiles se font plus nombreux.
Je quitte la NH4, après 90km, pour rejoindre le village de Bang Saphan Noi, qui est posté non loin du bord de mer, 15km plus loin, à l'est. Ce bled a subi de fortes pluies, dernièrement, et plusieurs chemins et propriétés sont inondés.
Je passe la nuit dans un bungalow, les pieds dans l'eau...(presque J ).
Samedi 19 août 2006
Ce matin, je quitte mon pavillon avec l'intention de rejoindre la ville de Chumphon, qui se trouve à une centaine de kilomètres au sud. Le manager du bungalow m'a convaincu d'emprunter l'ancienne route nationale, plus sauvage, calme et scénique que la bruyante et monotone NH4.
Pendant les 30 premiers kilomètres, je me demande si j'arriverai à destination avant la tombée de la nuit. Je souffre le martyr dans une succession de collines où le plat n'existe pas et me perds plusieurs fois à cause du manque de panneaux indicateurs. Mais, comme tout effort mérite récompense, je suis remercié par la beauté des paysages qui défilent devant moi. Aux forêts de cocotiers, succèdent des plantations d'hévéas. Je traverse plusieurs petits villages de pêcheurs.
La route est sinueuse et incroyablement scénique avec - à certains moments - de superbes vues sur le golfe de Thaïlande.
Malgré un fort vent de face, un relief en dents de scie, des dizaines d'attaques de chiens et des intersections à pile ou face, je garde un fantastique souvenir de cette étape.
Dimanche 20 août 2006
Dans ma course vers le sud, je suis contraint, aujourd'hui, d'emprunter la nationale 41. Pas d'alternative pour atteindre la ville de Lang Suan, qui est 75km plus bas. Les camions, plus nombreux que les voitures, m'accompagnent tout au long de mon parcours. Souvent, ils klaxonnent à me faire siffler les oreilles. Je ne sais pas toujours si c'est pour m'avertir, ou me saluer, alors je fais un signe de la main, peut-être dans le vide. Pas grave J.
Je me fais avoir, parfois, en roulant devant des monuments religieux en bord de route, car les thaïlandais ont pour habitude de klaxonner en passant devant ceux-ci. Il suffit, donc, que je n'aie pas vu le temple, ou la statue en question, pour que je fasse un grand signe de la main et un sourire en réponse à un coup de klaxon qui ne m'était pas destiné... Le conducteur montre souvent un certain étonnement face à tant de sympathie, avec un visage sur lequel on pourrait lire : je le connais, lui ??? J
Lundi 21 août 2006
Après 70km sur l'assoupissante nationale 41, j'arrive dans cette calme et sympathique petite ville qu'est Chaiya. Beaucoup de bâtisses sont encore en bois et il n'y a bien que le 7/eleven qui rappelle l'occident. La plupart de gens visitent Chaiya pour son célèbre centre de méditation bouddhiste, où des enseignements et des retraites sont proposés aux touristes 10 jours par mois.
Je me dirige vers le seul hôtel de la ville, où je suis amicalement accueilli par le propriétaire qui me parle de ses nombreuses vacances en Suisse et dans le reste de l'Europe. En voilà un qui n'est pas dans le besoin !
Je passe la nuit dans une minuscule chambre en bois, où les moustiques ont loisir de rentrer par les multiples espaces aux parois, au plafond et au plancher.
Et ils ne se gênent pas de venir me rendre visite...
Mardi 22 août 2006
Une courte étape de 60km qui me mène à Surat Thani ; ville sans attrait particulier, si ce n'est qu'elle est le point d'embarcation pour les populaires îles de Koh Samui, Koh Phangan et Koh Tao.
Mercredi 23 août 2006
Il y a de l'excitation dans l'air. En effet, c'est aujourd'hui que je vais pouvoir retrouver mon ami Philippe qui se luge depuis quelques années au bord du golfe de Thaïlande.
C'est, donc, d'un coup de pédale décidé et pressé que j'entame les 83km qui nous séparent.
Dès l'entrée dans la province de Nakhon Si Thammarat, le paysage devient plus sauvage et montagneux. Une belle colline de quelque 5km me force à ralentir l'allure. Mais, comme dit un vieux proverbe cycliste : Tout ce qui monte doit redescendre J. La tête dans le guidon et le chapeau de paille entre les dents, je file ainsi vers le niveau de la mer.
Grâce aux indications – toujours très précises – de Philippe, je repère sans peine sa cachette ; une belle et grande maison en dur au bord d'une plage déserte de sable blanc et longue de 10km.
Une plage qui rappelle celle de Chaweng à Koh Samui, il y a une trentaine d'années, quand le Blanc et le parasol étaient montrés du doigt par les indigènes.
Un petit bijou qui a bien du mal à garder son éclat et se préserver des investisseurs, chaque jour plus nombreux.
Le soir, alors que nous nous apprêtons à nous mettre au lit, nous avons la visite improvisée de John, un copain de Philippe. John est un américain d'une quarantaine d'années, très sympathique, qui habite en Thaïlande depuis près de 3 ans.
Ce soir-là, il n'en est pas à sa première canette de bière Chang et arrive avec la ferme intention de préparer du Pop Corn. Soit. Il prend la première casserole qui tombe sous sa main, y déverse une lourde quantité d'huile, y adjoint une généreuse portion de maïs et tourne le gaz au maximum. En moins de 5 minutes, nous nous retrouvons tous asphyxiés par un nuage de fumée qui envahit la villa. Nous ouvrons d'urgence toutes fenêtres et portes, afin de laisser s'échapper ce nuage toxique et imprégnant. Les trop fortes flammes ont carbonisé le fond de la casserole et les quelques grains de maïs qui ne sont pas noirs, ont un goût de brûler qui les rend immangeables.
« Pas grave ! Je vais faire une deuxième tentative. » nous dit John tout en mastiquant ces céréales couleur charbon. Philippe parvient, in extremis, à l'en dissuader.
Il faudra attendre que John ait asséché ses provisions de bière pour qu'il décide de partir.
Bye, John ! See you tomorrow !
Jeudi 24 – Samedi 26 août 2006
Durant mon bref séjour chez Philippe, je suis véritablement traité comme le Roi Bhumibol ; logé, nourri, blanchi et habillé par sa plus grande attention et générosité.
De mémorables petits déjeuners : jus de carottes/betteraves fraîchement pressées suivi d'une demi papaye et d'un bol de céréales au lait de soja – fait maison – agrémenté de germes de blé et de raisins secs. Cela faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien mangé.
Tous les plats de Philippe sont préparés avec amour et sans MSG (Mono Sodium Glutamate) ; un exhausteur de goût aux effets secondaires douteux, fabriqué par la société japonaise Ajinomoto et ajouté dans la plupart des plats thaïlandais.
Je profite de ces quelques jours de repos pour faire la vidange du moyeu arrière Rohloff de mon vélo. Ca tombe bien, car je viens de franchir la barre des 5 mille kilomètres, où la vidange devrait avoir lieu.
Dimanche 27 août 2006
C'est avec regret que je quitte Philippe si rapidement, mais j'ai rendez-vous dans quelques jours avec Ploy et sa famille à Hat Yai, qui se trouve environ 300km au sud.
Nous parcourons ensemble les 15 premiers kilomètres que Philippe effectue à scooter. Il prend quelques photos du départ.
Nous nous disons au revoir à la station de bus, car il doit se rendre aujourd'hui en Malaisie, afin de renouveler son visa.
Bye, Très Cher Philippe ! Merci infiniment pour ton chaleureux accueil et ta grande générosité !
Ainsi, je retrouve ma vie de pédaleur solitaire.
Sur mon chemin, je croise plusieurs mosquées, ainsi que de nombreux élèves coiffés de la toque pour les garçons et du foulard pour les filles. Je suis bientôt en terre musulmane.
C’est en plein après-midi, quand le soleil est le plus généreux,... que j’arrive dans la ville de Nakhon Si Thammarat, après 120km de génuflexion.
Je file me réfugier à l’ombre d’un charmant petit hôtel qui ne me réclame que 120 bahts (4 francs) pour une chambre spacieuse et très propre, avec douche et toilettes.
Je crois que j’ai mérité ma petite sieste.
Lundi 28 août 2006
Voilà qui s’appelle avoir un rhume carabiné !
Je me réveille ce matin à 5h avec les narines explosées. Il n’en faut pas plus pour m’encourager à retourner dans les bras de Morphée et prolonger ainsi ma nuit de quelques heures.
Il est 10h quand je décolle, enfin, l’oeil gauche, un peu boursouflé, puis le droit, bien gonflé aussi. Mes lèvres ont été gercées par une respiration buccale forcée.
En me regardant dans la glace, j’ai comme l’impression de sortir d’un 3e round de combat de K1...
Après un petit déjeuner aux fruits et céréales, je me rends dans la pharmacie du coin et présente mon groin au comptoir. J’entends une voix, non loin de moi. En baissant les yeux, j’aperçois une tête dépasser du guichet. C’est un minuscule chinois d’une soixantaine d’années, à la peau jaune et aux yeux bridés (très commun chez les Chinois) qui me reçoit. Il comprend rapidement mon problème et s’empresse de sortir de son tiroir la potion magique : non pas de la poudre de corne de rhinocéros – Ploy ne me l’a pas encore réclamée... – mais une tablette de pastilles blanches. Rien d’extraordinaire à l’oeil.
Je passe l’après-midi à vagabonder dans les rues du centre-ville.
Devant le 7/eleven, je croise un Blanc en voie de clochardisation avancée. Il est assis devant l’entrée du magasin, les pieds nus enflés et tailladés avec une épaisse corne noire comme unique semelle. Il pourrait avoir la quarantaine d’années, mais il en fait une dizaine de plus. Son t-shirt et ses pantalons bleus sont noircis par la crasse. Ses yeux, gorgés de sang, transpirent l’alcool. Quand son regard croise le mien, je m’attends à ce qu’il me réclame une pièce, ou un billet. Rien de tout ça ! Il me fait juste un sourire amical – et réciproquement. En entrant dans le magasin, je suis pris d’un sentiment de désolation à son égard. Comment a-t-il pu en arriver là ? Je ne le saurai jamais.
Mardi 29 août 2006
C’est avec les sinus défoncés et le blaire en choux-fleurs que je prends la route, ce matin. La potion du chinois ne m’a fait aucun effet. Zut !
Mes cuisses, quant à elles, ne sont pas enrhumées et appuient avec plaisir sur l’accélérateur. Je parcours, ainsi, sans trop de difficultés les 113km qui me séparent de Phatthalung ; ville complètement ignorée par le tourisme au visage pâle.
Une fois au centre, je demande au premier local qui tombe sous ma main s’il y a un hôtel dans le coin. Le moustachu – que je viens, apparemment, de déranger et à qui j’ai l’impression de tirer les vers du nez – m’indique brièvement un chemin à suivre. Pas bonjour, pas au revoir, pas de sourire. Je me demande même, un instant, s’il ne va pas sortir un revolver de son magasin militaire. Merci, quand même !
Lorsque j’arrive à l’hôtel, les deux réceptionnistes sont tranquillement en train de se chercher les puces (ou autres parasites capillaires) dans les cheveux. Pas gênées du tout, alors qu’une me répond, l’autre continue de fouiner avec ses doigts dans la longue chevelure noire de sa collègue, en quête d’un intrus potentiel.
En début de soirée, je vais casser la croûte au restaurant de l’hôtel, qui ressemble plus à un bar karaoké, qu’à une salle à manger. Quelques bonshommes aux tempes éclaircies par le temps sont discrètement installés aux quatre coins de la pièce, tous accompagnés de jeunes hôtesses communicatives et heureuses de partager leurs bouteilles de whisky. Quant à moi, je me retrouve seul au milieu de ce sombre endroit... Si sombre qu’il me faut presque sortir la frontale pour repérer les grains de riz dans mon assiette.
Lorsque je retourne dans ma chambre, je jette, par hasard, un coup d’oeil sur mon vélo parqué contre la fenêtre. N’ai-je pas l’amère surprise de constater que le pneu avant est à plat ! Tonnerre de Brest ! Il est 22h et je devrais être au lit...
En démontant le pneu, je remarque que la crevaison est due à des paillettes métalliques – qui ressemblent à de l’aluminium – dispersées entre le pneu et la chambre à air. Mais, d’où viennent-elles ??? Comment sont-elles arrivées là, ces coquines ??? J’inspecte minutieusement la jante, mais ne remarque rien d’anormal. Ni défaut, ni éclat, rien. La seule réponse que je puisse donner est que ces déchets métalliques étaient déjà présents lors de l’achat du vélo, car je n’avais encore jamais manipulé le pneu avant. Probablement des morceaux qui se sont détachés de l’oeillet de la jante neuve.
Deux crevaisons en 5’400km qui n’ont pas été dues aux éléments extérieurs, mais à des problèmes internes aux pneus. Incroyable, mais vrai !!!
On continue dans la bricole...
Après avoir soigneusement bletzé les trous, je réinstalle la chambre à air et regonfle le pneu. A 4 bars, j’entends « PFFFFfffffffssss.... ». Les rustines ne tiennent pas à cause de l’humidité... Je décide alors d’employer les grands moyens et rhabille ma bicyclette d’une chambre à air et d’un pneu avant neufs !
Voilà ! Il est 1h du matin et je crois que je peux, enfin, aller me coucher sans soucis...
Mercredi 30 août 2006
Une centaine de kilomètres pour rallier la ville de Hat Yai.
Après 70km bien roulants, je suis invité par les collines les 30 dernières bornes. J'ai l'impression d'avoir acheté un billet pour Disney Land. Il ne me manque plus que le looping et j'y suis. Un vrai festival de bosses !
Dès mon arrivée au centre-ville, je me lance à la recherche d'un hôtel pas trop cher et confortable, afin de pouvoir loger toute la grande famille qui arrive demain.
L'hôtel Montien est un énorme immeuble de 13 étages qui devait être luxueux il y a une trentaine d'années. Mais, comme c'est, malheureusement, souvent le cas avec le management thaïlandais, l'entretien de la bâtisse a été laissé à l'abandon. Il n'y a bien que les plaques de marbre de la vaste réception qui aient résisté à l'usure du temps. Tout le reste est en état de délabrement ; la couleur de la moquette penche plus vers le noir que vers son rouge d'origine ; les matelas sont éventrés et couverts d'auréoles jaune foncé ; les draps, qui doivent dater de la belle époque, sont en état de désagrégation ; les linges de bain, qui ont été effilochés et déchirés par des milliers de frictions, dégagent une forte odeur de moisi. Ah, j'oubliais ; des rongeurs se baladent sur les étages...
Malgré cela, il est difficile de trouver une chambre avec air conditionné, TV et eau chaude, en plein centre-ville et à deux pas de la gare, pour 300 bahts (10 francs) la nuit.
Le réceptionniste m'en réclame d'abord 450, mais ne résiste pas longtemps à mon offre...
Ai-je à peine le temps de payer ma première nuit, que le gars me propose d'amener une fille dans ma chambre...
« Good price for you ! Good massage ! » Me lance-t-il.
« No, thank you, I'm married. » lui répondé-je en souriant.
Ma réponse n'a pas l'air d'être une excuse suffisamment valable pour lui, car, le regard interloqué, il insiste encore une fois...sans succès J.
En voyant ses yeux rouges et vaporeux, je ne suis pas surpris quand, un peu plus tard, il me propose de la marijuana...
Jeudi 31 août – Samedi 16 septembre 2006
Qui aurait pensé que je serais scotché à Hat Yai durant plus de deux semaines ??? Pas moi !!!
Ce matin, il n'en faut pas beaucoup pour me sortir des draps. Et oui, dans quelques heures je vais pouvoir étouffer Ploy de joie, avec mes bras constrictors.
L'accès aux quais de gare est étroitement surveillé par l'armée et la police. La crainte de nouveaux attentats se fait ressentir. Effectivement, en 2005, une bombe a explosé à l'aéroport et une autre à l'entrée du centre commercial Carrefour, faisant 2 morts et de nombreux blessés.
Ces actes de terrorisme sont revendiqués par le Pattani United Liberation Organization (PULO) ; un petit groupe armé qui, depuis sa formation en 1959, s'est engagé à re-créer un état musulman indépendant constitué des quatre provinces du sud à prédominance musulmane, soit Songkhla (dont Hat Yai fait partie), Yala, Pattani et Narathiwat. Bien que la ville de Hat Yai soit une cible potentielle permanente, elle ne représente que très peu de danger par rapport aux trois provinces de Pattani, Yala et Narathiwat, qui elles subissent depuis 2002 des incendies criminels, bombes et agressions armées, quasi quotidiennement, avec - pour tristes résultats - plus de 2 mille morts en 4 ans.
Ma silhouette est donc passée au détecteur de métaux et mon sac à dos est fouillé avant que je puisse me rendre sur le quai.
Ca y est ! L'équipe débarque au complet, le sourire aux lèvres, un peu usée quand même par 14 heures de train.
Je les dirige aussitôt vers mon hôtel de luxe J.
Les amis de Ploy - qui connaissent bien la région pour y avoir de la famille et y avoir habité - nous trimbalent avec grand plaisir aux quatre coins de la province durant trois jours, nous faisant découvrir monuments, campagnes, plages, marchés, restaurants et bars.
Nous sommes traités comme des hôtes d'honneur.
Les potes reprennent le train pour Bangkok dimanche soir et Ploy choisi de rester avec moi jusqu'à l'arrivée de ma commande de pièces détachées.
Durant une petite semaine, nous nous rendons presque chaque soir dans les nombreux Live Band Bars de la ville. Voilà ce qu'il manque à Genève ! Un bar-restaurant avec une scène et un groupe de chanteurs musiciens proposant de bonnes reprises Rock’n’roll et des chansons à la demande. Ici, les bars font le plein tous les soirs et l'ambiance ne manque pas.
C'est, à nouveau, le coeur serré que j'accompagne Ploy à l'aéroport de Hat Yai vendredi soir. Chaque véhicule est examiné et l'intérieur du coffre contrôlé par la police avant de pouvoir entrer dans l'enceinte de l'aéroport. La menace d'un second attentat ici est prise au sérieux.
Au revoir ma bien-aimée... Quand te reverrai-je (pays merveilleux) ? No idea !
Alors que je suis sur le point de – finalement - quitter Hat Yai, un incident vient retarder mon départ. En effet, le méchant rhume, que j'ai attrapé chez Philippe il y a plus de deux semaines, s'est aggravé et il me faut aller consulter un médecin au plus vite.
Celui-ci diagnostique une infection bactérienne des sinus et me prescrit des antibiotiques en me donnant rendez-vous dans une semaine... Il ne manquait plus que ça !
Fort heureusement, les médicaments me font rapidement de l'effet et mes nasaux arrêtent de couler dès le deuxième jour de traitement.
En attendant un complet rétablissement, j'investis mon temps libre dans la rédaction du journal qui avait pris quelque retard.
Je zone aussi dans cette étonnante ville, que j'apprends à un peu mieux connaître.
A Hat Yai, le farang se fait plutôt rare. Encore plus depuis que les provinces de l'extrême sud-est du pays se sont embrasées.
Celui qui, au contraire, ne se fait pas rare du tout, pour ne pas dire ubiquiste, c'est le touriste d'origine chinoise. A certains moments, je me croirais presque en République Populaire... J'ai même jeté un coup d'oeil sous mon lit pour voir s'il ne s'en cachait pas un J. Blague à part, ils constituent une manne non négligeable pour la ville.
Par ailleurs, quand je vois le nombre de salons de coiffure et beauté qui sont presque aussi nombreux que les restaurants et la plupart du temps vierges de clientèle, je comprends aisément comment la machine à laver blanchi les bahts un peu sales provenant de la prostitution et du gambling ; deux activités très répandues dans cette ville.
Ca y est ! Cette fois, c'est décidé : demain je reprends la route.
Je viens, enfin, de terminer ma cure d'antibiotiques et mon groin pète le feu.
Pour ma dernière soirée à Hat Yai, je n'abandonne pas les habitudes prises depuis deux semaines et me rends au restaurant Swan, où je commande une salade de fruits.
Il doit être environ 21h10 quand je demande l'addition.
21h20 : je suis sur le point de quitter le restaurant quand, tout à coup
BANG ! BANG !
Deux violentes explosions me font sursauter. Il n'y a pas de doute; au bruit, il s'agit de bombes. J'en ai la confirmation quand, depuis l'entrée du restaurant, je vois, 50 mètres plus loin dans la même rue, un véhicule en flammes. Un mouvement de panique envahit subitement cette rue très animée du centre-ville. Plusieurs personnes descendent aussitôt les stores métalliques de leurs magasins et se rabattent à l'intérieur. Des gens courent ici et là. Moi, dans l'excitation et par pure inconscience, je décide d'aller prendre des photos du drame.
Je ne le sais pas encore, mais en me dirigeant vers l'incendie, je passe à 2 mètres d'une troisième bombe qui explosera dans 5 minutes...
Je ne suis qu'à 10 mètres de la camionnette taxi qui est en flammes, de l'autre côté de la route.
Le scooter dans lequel la charge a été déposée est démantibulé et carbonisé. Un policier sous son gilet pare-balles pointe son fusil-mitrailleur dans tous les sens, depuis le centre de la chaussée.
Alors que je suis en train de capturer ma cinq ou sixième image...
BANG !
Une troisième bombe explose dans la même rue, à quelque 10 mètres du restaurant Swan...
A ce moment-là, je suis réellement pris de panique, car je prends conscience qu'une prochaine explosion pourrait survenir d'une seconde à l'autre depuis l'une des multiples motocyclettes stationnées tout autour de moi. Je file alors me réfugier au fond du restaurant chinois qui se trouve en face de l'incendie. Le patron descend, ensuite, les stores métalliques pour mieux nous protéger. Je me retrouve en compagnie du personnel et de divers passants, dont un européen d'une soixantaine d'années. A plusieurs reprises, je tente d'appeler Ploy pour la mettre au courant, mais le réseau des téléphones mobiles a été coupé, afin de prévenir d'autres activations de détonateurs. Entre-temps, elle, ayant vu le flash info à la télé, s'efforce désespérément de m'atteindre.
Je décide de quitter mon abri après un quart d'heure en prenant le risque de retourner au restaurant Swan pour y chercher mon cornet de commissions, oublié dans l'agitation.
Je passe ainsi devant le lieu de la troisième explosion. Le spectacle est désolant : deux corps inertes sont allongés sur le trottoir ; un homme en sang se tient l'épaule, assis sur le sol, adossé à une voiture ; il y a des flaques de sang sur le trottoir et sur la chaussée ; plusieurs vitrines sont parties en éclats et je marche sur les débris de verre ; une forte odeur de vomi me donne la nausée.
J'arrive au restaurant qui est toutes lumières éteintes. Les tables sont renversées au fond de la salle et quatre touristes sont blottis derrière, terrorisés.
Mon sac dans les mains, je me dis qu'il faut maintenant quitter, au plus vite, cette zone dangereuse et retourner à l'hôtel par un autre chemin plus sûr.
En quittant le restaurant, je vois les premières ambulances qui débarquent, sirènes hurlantes et gyrophares enclenchés. La tension est énorme et la police est sur les dents.
Ouf ! Me voilà à l'abri dans ma chambre d'hôtel, sain et sauf. J'arrive, finalement, à joindre Ploy pour la rassurer.
Je suis passé entre les gouttes...
Au total, 6 bombes ont explosé à Hat Yai, à quelques minutes d'intervalle, faisant 4 morts – dont un enseignant canadien de 29 ans, une touriste chinoise et deux Thaïlandais – et plus de 70 blessés.
J'aurais préféré que ce long séjour en terre d'accueil eût fini autrement...